Manifeste pour les SmartInstruments
publié le 18 avril 2016
Par Adrien Mamou-Mani
N'importe qui vous le dira : un violon électrique, ce n'est pas un violon. Le violon électrique a de nombreux avantages sur son « ancêtre » : branchez-le sur un ampli et il se fera entendre dans un stade, ajoutez des effets et il prendra la sonorité que vous souhaitez, connectez-le à un ordinateur et il servira d'interface de contrôle de son ou encore d'image. Autant d'avantages devant lui permettre de détrôner Antonio Stradivari !
Pourtant, le violon « acoustique » est loin d'avoir disparu. Il est plébiscité par des millions de musiciens, les professeurs, les ensembles. Est-ce par conservatisme du monde musical ? Les recherches en acoustique offrent des hypothèses plus probables. Elles ont montré que le rayonnement acoustique du violon est très différent de celui d'un haut-parleur, ou encore que son timbre est lié à la signature vibratoire de sa caisse, des réglages subtils de l'âme et du chevalet. Le savoir-faire des luthiers a encore de beaux jours devant lui, tant que la société conserve une exigence de qualité et de finesse acoustiques dans le spectacle vivant.
Est-ce à dire que l'instrument acoustique est hermétique aux technologies ? Non, bien sûr, les instruments actuels sont très différents de ceux du temps de leur invention. Pour ne prendre qu'un exemple récent, pensons à tous ces instruments dits « électroacoustiques » qui offrent des qualités acoustiques et dont les vibrations sont amplifiables dans une chaîne électroacoustique, souvent grâce à des céramiques synthétiques aux propriétés piézoélectriques. À une époque où un nombre croissant d'individus revendique des identités multiples, hybrides, je pense que les SmartInstruments sont la prochaine étape technologique majeure dans les instruments acoustiques. Ils ont tous les attributs des instruments mais, munis d'un système embarqué, ils peuvent changer de timbre, de « puissance », à la demande. Leurs caractéristiques vibratoires sont mesurables, programmables à distance et combinables avec des effets audio, sans haut-parleur extérieur. Grâce aux SmartInstruments, la relation instrument/ordinateur est enfin à double sens. Pour que la greffe prenne, il faut un long travail scientifique et technique, nourri par le monde musical. Celui-ci a débuté dans les années 1990 avec les travaux pionniers de l'ingénierie des « smart structures » et « smart materials » et ses applications aux instruments. Il s'accélère depuis avec les technologies et les retours des compositeurs, instrumentistes et réalisateurs en informatique musicale.
À l'Ircam, cela a abouti à des prototypes de SmartInstruments (guitare, quatuor à cordes, clarinette basse, sourdines de cuivres), réalisés en partenariat avec des fabricants, sur lesquels s'agrippe COALA (système embarqué temps réel pour le contrôle actif d'instruments) muni d'algorithmes de contrôle, produits de nos recherches en collaboration avec scientifiques et musiciens. Mais nous ne voulons pas nous arrêter là. Nous ne pouvons plus répondre aux demandes croissantes des musiciens. Le moment est venu pour les fabricants de s'approprier ces systèmes. Qui est prêt à se lancer ?