Édito
Le spectacle (du) vivant
Rendez-vous des arts du temps et de la création musicale à Paris, le festival ManiFeste-2016 rencontre pour la première fois les arts visuels. Une constellation autour de l’arte povera qui s’expose et s’entend au Centre Pompidou, qui se lit dans les colonnes de L’Étincelle. Traduire la guérilla artistique et anticonsumériste du povera italien de la fin des années 1960 en une question pressante pour le présent, tel est le pari de ce manifeste.
Que signifie le «pauvre» en art et dans l’innovation ? Sa chimie s’accomplit par une méticuleuse opération de réduction du matériau, réduction des multiples détours entre l’idée et la matière. Du pionnier vagabond Harry Partch, inventeur d’une lutherie inouïe, ancêtre américain des makers, et dont Heiner Goebbels revisite l’opéra Delusion of the Fury, jusqu’à l’art par soustraction du chorégraphe Xavier Le Roy, toute une histoire du contemporain peut s’écrire autour du «pauvre ». La présence de la nature réenchantée, l’écologie du son et de l’écoute, l’apparition d’un matériau
tactile, en seraient les marques sensibles. Salvatore Sciarrino et son bestiaire nocturne, Gérard Pesson et son art climatique troué de Naturlaut, Beat Furrer et le théâtre de la voix soufflée, autant de signatures qui viennent ruiner le grand style rutilant. Le jeu de l’effroi et de l’extase peut flirter avec le maniérisme du peu ou la rhétorique du silence: cet effet d’un geste simplifié fascine une nouvelle génération de compositeurs, adeptes par ailleurs du low-tech dans un institut high-tech.
Entre la haute technologie de l’Ircam et l’immédiateté sensible du povera, la disjonction semble totale. Pourtant, s’il est question de mimétisme et de modélisation des mouvements naturels, de simplification et de «beauté du geste» – Thierry De Mey, lui-même très marqué par l’expérience du povera –, s’il est question d’un nouveau corps-interprète à la suite de Harry Partch et avec les SmartInstruments, la mobilisation de la perception s’impose comme une interrogation béante pour toute musique qui s’écrit. La recherche conduite sous la place Stravinsky investit précisément le champ des archétypes émotionnels, bien trop ambigu et bien trop riche pour être livré aux seules neurosciences ou aux seuls artistes. Observer le choc physiologique de la musique, ceci mérite une série d’écoutes partagées entre scientifiques et artistes. À la recherche de «l’involontaire commotion» artistique, celle qu’a souvent invoquée le fondateur de l’Ircam.
«Faites, agissez, surtout ne reproduisez pas», l’injonction de Pierre Boulez doit connaître au sein du festival et de l’académie de l’Ircam, sa vive expression. Elle incite à s’éloigner des sentiers déjà trop balisés par le productivisme artistique ou le consumérisme technologique. Un povera pour contracter et saisir le grand circuit de la vie à l’art, de l’art à la vie.
Frank Madlener